Menton-Laigueglia (étape 31)
25/04/2024. La France s’éloigne petit a petit. Ça y est. Nous foulons le sol italien. Le jour est spécial. Depuis 79 ans, les habitants de la Botte fêtent en ce jour la “Festa della Liberazione”. Nous décidons d’emprunter les routes côtières de façon à contourner les Alpes. Ce choix a fait l’objet d’une âpre discussion avec le vieux pap’, alias “Jacquolino il Vecchio”. Il exprima le souhait de ne pas ” se tuer” dans les pentes du massif alpin, brandissant “la menace” du train. Jacquolino n’aime pas trop les pentes montagneuses, encore moins la grande faucheuse. Nous choisissons donc de nous rendre à Milan en passant par Gènes. Nous squissons Turin.
Entre Vintimiglia et San Lorenzo Al Mare, une ancienne voie ferrée aménagée en voie verte. Nous l’ empruntons. La route est agréable. À proximité de Sanremo, nous nous engouffrons dans un immense tunnel. Au dessus de nos têtes, d’immenses affiches retracent, par ordre chronologique, les temps forts de la mythique course cycliste Milan-Sanremo, la Classicissima. Le saint patron Eddy Merckx veille sur nous. Nous dépassons Imperia. Désormais, nous roulons sur la strada statale 1“Via Aurelia”. La route est fréquentée. Aucune bandes cyclables. Je m’étonne de croiser des piétons au bord de la route. Pour échapper à cette “pression routière”, je cherche un nouvel itinéraire sur le GPS. Le chemin est encore pire. Nous empruntons un sentier côtier escarpé. Nous descendons de nos vélos que nous poussons de toutes nous force pour franchir les énormes cailloux. Je transpire à grosses gouttes. Jacquolino se retient de ne pas me hurler dessus. Après trente minutes de calvaire dans notre “chemin de chèvre’, nous dévalons une immense descente en lacets jusqu’à notre destination. Là aussi, je m’attends aux critiques de Jacquolino : “on fusille nos freins, bordel ! “. Nous arrivons enfin au camping. Nous sommes éprouvés… à cause de mon erreur d’appréciation, en partie. Nous aurions dû rester sur la Via Aurélia. Le soir, nous tirons les enseignements de la journée devant un plat de gnocchis au pesto et à la tomate.
Laigueglia- Savona (étape 32)
26/04/2024. Nous sommes matineux ce matin. Des enfants jouent à proximité de nos tentes. Les oiseaux sont bien silencieux en comparaison. L’étape est relativement courte aujourd’hui (environ 60 kilomètres). Les villes côtières se juxtaposent les unes aux autres : Alassio, Albenga, Ceriale, Loano, Pietra Ligure, Borgio, Finale Ligure… Les centres villes sont saturés de voitures, tandis que les fronts de mer regorgent de commerces. Des cordons d’enrochement ceinturent les façades maritimes des villes. Nous les longeons, puis nous les quittons pour récupérer de nouveau la SS.1 Via Aurélia. Le tronçon routier serpente entre les cavités rocheuses des alpes liguriennes. Le traffic est faible. Le plaisir est au rendez-vous. A la suite d’une longue descente, nous marquons une halte devant la tour de l’Hôtel de ville de Noli. Jacquolino vient de crever sa roue arrière pour la quatrième fois depuis notre départ. La cause de la crevaison est vite repérée: une petite épine logée dans le pneu. La chambre à air est vite remplacée. Quelques kilomètres plus tard, nous arrivons à Savona, notre destination. Nous nous arrêtons dans un camping en bordure de la ville. L’accueil y est chaleureux. Nos voisins sont un couple d’anglais. J’apprends qu’ils voyagent eux aussi à vélo…mais en tandem. Incroyable !
Le vieux pap’ qui répare sa roue crevée dans un abribus. Il devient rapidement l’attraction principale de la station. Une personne propose de l’aider. Une autre le scrute du coin de l’oeil. Tous s’interrogent: Y arrivera-til ? L’incertitude règne. Au bout de quelques minutes, il se redresse et déclare, l’air satisfait : C’est bon, réparé ! Les visages s’éclaircissent. La station est en liesse.
Les victuailles pour notre dîner au camping: scarmorza, mortadelle, jambon fumé, olives vertes pimentées, tomates séchées, salade mixte, gressin, pain et autres plaisirs gustatifs.
Savona-Genova (étape 33)
27/04/2024.
Repos à Genova (Gènes)
28/04/2024. Nous passons une journée de repos à Gênes. Nous déambulons sans but dans les sinuosités de la Superbe. Dans le centre historique, les rues sont contrastées. Certaines sont étroites. Les passants s’y contorsionnent pour se frayer un chemin. Les toitures sont resserrées et forment une canopée urbaine. La vie y est grouillante. Les commerces se logent dans de petits espaces. D’autres rues sont larges et rectilignes. Elles abritent de monumentaux bâtiments, tels que des palais, des musées ou encore des églises aux façades imposantes. Ici, un aperçu de la via Garibaldi, ou Strada Nuova, qui aligne de somptueuses résidences, essentiellement des palais (Palazzo rosso, Palazzo blanco…) ayant appartenu (ou appartenant encore) à l’aristocratie génoise.
Une imposante statue en marbre de Christophe Colomb trône, majestueuse, devant la stazione di Genova Piazza Principe. L’illustre navigateur qui a découvert l’Amérique sans le savoir est natif de la ville qui lui rend hommage.
Une rue du centre historique de Gênes. Notre regard se perd dans les détails: des persiennes aux murs, du linge au balcon, des graffitis aux murs, des effluves de friture, des mots qui s’échappent des conversations… La rue nous enivre. Elle nous imprègne.
Genova- Casalnoceto (étape 34)
29/04/2024. Nous quittons ce matin le Campeggio villa Doria après avoir englouti un bon petit déjeuner. La journée s’annonce sportive. Nous devons franchir le col de Bocchetta (772 mètres) pour quitter la Ligurie maritime. Ragaillardis de la veille, nous quittons Gènes avec entrain. Nous passons à un magasin de vélo pour acheter de l’huile et un pneu de rechange. Nous quittons Gènes sans difficultés. Le trafic est faible. Les routes sont espacées. À Borzonasca, nous entamons une ascension douce du col de Bocchetta. Nous sommes confiants. Nous traversons la vallée d’Aveto. A un moment donné, la route goudronnée se rétrécit, s’arrête, puis se prolonge par un sentier côtier. Nous sommes dubitatifs mais nous l’empruntons. Nous pensons que le plus dur est derrière nous. Bien sûr, nous nous trompons. Après trente minutes de marche, nous remontons en selle et continuons notre chemin sur une route pentue. Les courbes serrées sont innombrables. L’air se refroidit à mesure de l’ascension.
Désormais, l’ascension n’est plus douce. Elle vire à l’épreuve. L’expression : ” ça grimpe” trouve ici un terrain d’expression privilégié. Je me retourne. Plus de Jacquolino. Il préfère marcher. Je poursuis jusqu’au sommet. Durant l’ascension, j’observe des inscriptions sur les routes et les arbres. Furia, est-il écrit. La route porte encore les traces de courses cyclistes passées. L’étape est très difficile physiquement mais je me sens bien néanmoins. Aurais-je le profil d’un grimpeur comme notre “Riri” (Richard Virenque) national ? Je me prends à rêver. J’arrive enfin au sommet du Col de Bocchetta. Je rencontre un couple, Luige et Sabrina, en vacances, avec lequel j’entame la discussion. J’attends tranquillement Jacquolino en contemplant les forêt de hêtres à perte de vue des appenins piémontais. Il arrive en pestant : “Jamais plus je ne m’amuse à faire ce genre de conneries. C’est fini! ” La grimpe n’est pas la tasse de thé du vieux pap’…. Et il le fait savoir. Nous enfilons nos vestes pour entamer désormais la descente du Col. Avant de nous élancer, Jacquolino me lance un merveilleux : “On va encore foutre en l’air nos freins! ” Je m’y attendais. Au final, la pente descendante n’est pas si raide que ça. Elle laisse le temps de l’observation. Des jeunes à motos nous adressent des Buon cammino ! Dans un village, un enterrement. Nous ralentissons. Dans un autre, une maison arbore un immense drapeau de la Sardaigne, Bandiera dei Quattro Mori. En milieu d’après-midi, nous marquons une pause à Voltaggio. Nous restons quelques instants à la caffetteria Voltabia pour prendre une colazione. La crostata alla marmellata y est délicieuse. Nous repartons. Mon GPS annonce 2h30 pour atteindre Tortone. À présent, les routes sont parfaitement planes, sans bosses ni courbures. Elles s’étendent sur des kilomètres. Nous les avalons à une vitesse folle. Le vent est dans le dos et la route est en légère descente. Malgré notre chargement, nous roulons parfois sans difficultés à trente kilomètres par heure. La fin de cette étape est épique. Nous l’ achevons dans une charmante auberge de campagne, spécialisée dans l’agrotourisme, tenue par Alberto et son fils Frédérico. Nous dînons à peine avant de nous faire emporter par le sommeil.
La vue depuis le sommet du col de Bocchetta. J’attends patiemment le vieu pap’ qui mord dans son guidon. Je sors de ma mussette les victuailles pour récupérer de l’effort.
Une vue sur le Lemme qui traverse le village de Volteggio situé dans la zone du parc des « Capanne di Marcarolo ». Nous y marquons un arrêt pour déjeuner. À ce moment précis, nous achevons la descente du col de Bocchetta. La photo est prise depuis un vieux pont romain à bosse.
Casalnoceto – Milan (étape 35)
30/04/2024.
De Milan à Zingonia (banlieue de Bergame) (étape 36)
01/05/2024. Le départ est tardif. Nous nous attardons au camping. Un café. Puis deux. Et encore un. On définit les étapes de ces prochains jours. Lors de nos échanges, nous évoquons nos préférences respectives. Le vieux pap’ souhaite éviter les grandes agglomérations et les routes trop fréquentées. Les petites villes et les routes de campagnes sont à privilégier. De mon côté, j’identifie des villes “prestigieuses” (Bergame, Vérone, Padova, Venise…) comme points de passage. Nous nous accordons sur les étapes intermédiaires et les conditions de route. En revanche, la traversée des lieux dits “touristiques” semble constituer un point d’achoppement. Le vieu pap’ fait la mou. Pour la première fois, nous rencontrons une divergence importante sur la façon de définir nos étapes.
L’appréhension du patrimoine pluriséculaire des lieux que nous traversons comporte son lot de contraintes (flux touristique, trafic routier…), avec lequel le vieu pap’ ne souhaite pas s’encombrer. Il privilégie l’observation succincte et la flânerie. Il marche beaucoup et s’arrête parfois à la terrasse d’un café. Il accorde un oeil attentif aux personnes plutôt qu’aux choses. Il sort des chemins balisés, préférant la tiédeur d’une rue de traverse à la frénésie d’une artère fréquentée. Je ferraille pour que Bergame et Venise soient des itinéraires de notre parcours. Nous évoquons également le trajet entre Trieste et Gdańsk. Le vieu pap’ me confie redouter le relief en Slovénie et en Autriche. Il m’annonce qu’il prendra le train si le dénivelé est trop important. À cette annonce, je réalise que la définition de nos étapes devra être davantage conjointe, mieux anticipée, si l’on souhaite concilier nos objectifs respectifs. Sans doute ne le sont-elles pas encore suffisamment. Je retiens cette phrase du vieu pap’ : “Tu sais Edine, moi, je suis en vacances”, m’indiquant son souhait de réduire les contraintes que je peux parfois, malgré moi, lui imposer au nom de mes desirs. Apprendre à écouter le vieu pap’ en se mettant soi en retrait n’est pas si simple.
La route devient de plus en plus étroite. Nous empruntons la Ciclovia del Naviglio Martesana. 23 kilomètres de plaisir. Nous traversons plusieurs petites villes, comme Vimodrone, Cernusco, la surtout la mythique Gorgonzola. Ici, un joli pont-passerelle qui relie deux bâtiments.
La grande roue hydraulique de Gropello, appelée “Rudun”.Elle aurait été conçue par Léonard de Vinci lui même. La roue n’est pas un moulin, mais une noria. Elle vise à soulever l’eau du canal pour l’acheminer vers un système d’irrigation.
De Zingonia à Montechiari (par Bergame) (étape 37)
02/05/2024.
La Piazza della Loggia à Brescia. On distingue ici des portiques orientaux datant de la Renaissance et une tour avec une horloge astronomique du XVIe siècle. Le vieu pap’ observe quant à lui le Palazzo della Loggia, situé derrière moi, bijou de l’architecture brescienne.
De Montechiari à Vérone (étape 38)
03/05/2024.
Un obstacle classique à vélo : le franchissement d’une route inondée. On prend la mesure de la profondeur. Ni une ni deux, nous enlevons nos chaussures et traversons l’obstacle à pied. L’eau est fraiche. C’est agréable. Nous faisons sécher nos petons au soleil. Une nouvelle fois, le vieu pap’ peste contre les indications GPS qui nous conduisent dans des chemins “casse-pattes”.
Record battu. Le vieu pap’ a percé pour la cinquième fois. Désormais, il est devenu maître dans la réparation des roues. Nous convenons de changer les siennes en raison de leurs vétustées accélérées. “Il [le vendeur] m’a vraiment vendu des pneus de merde“, s’exclame le vieu pap’.
Repos à Vérone
De Vérone à Padoue (étape 39)
08/05/2024. Un dernier regard sur les conditions de la journée. Le dénivelé du trajet est faible. La météo annonce une légère brise d’ouest. Géo Vélo indique 42% de voies cyclables. Nous quittons sereinement le camping Castel San Pietro, de loin le meilleur que nous ayons jusqu’alors fréquenté. La sortie de Vérone est sans encombre. Nous empruntons de petites routes de campagne et traversons Soave, San Bonifacio, ou encore Lonigo où nous décidons de déjeuner. Une stèle nous indique que la ville est réputée pour sa foire de chevaux. Nous reprenons la route. Nous empruntons la SP38, puis la SP23. Un nuage menaçant, dessiné à l’encre noire, s’approche de nous. Nous nous réfugions dans une station essence. Le compteur du vélo nous informe que les 3000 kilomètres ont été franchis. Nous sourcillons à peine. La distance kilométrique nous apparaîtrait-elle désormais futile? Nous dépassons Poiana di Granfion. Padoue approche.
La route est agréable aujourd’hui. Nous roulons au milieu de la campagne, entourés de vignobles, au pied des Monts Lessini. Les vignes sont en feuillaisons. Les voitures sont rares. Le soleil est radieux. Une belle journée, en somme.
La pause déjeuner avec le vieu pap’ dans un parc à Lonigo. Au menu: Petto di Tacchino, pecorino et carciofi. Derrière nous, dans un centre aéré, des bambini révisent leurs classiques avec un blind test musical.
La petite ville de Soave avec son château médiéval et ses lignes de fortifications. Nous y croisons de nombreux cyclistes. Un néerlandais nous adresse un “Hallo”. En bon français, je lui réponds : “Ciao”!
De Padoue à Venise (étape 40)
09/05/2024. Le réveil est difficile ce matin. La nuit a été agitée. Les signes de la crise hémorroïdaire s’accentuent. Il fallait s’y attendre avec le vélo. Nous retardons le départ et prenons le temps de visiter la ville de Padoue. Ma carte mentale des lieux n’est pas si altérée depuis ma dernière venue. La ville compte à mes yeux car elle est celle d’une proche amie. J’ai pénétré les charmes de cette ville avec ses yeux. Je tente de faire goûter à mon vieux pap’ les fruits de cette transmission. J’attire son regard sur le Caffe Pedrocchi , réputé pour son café à la menthe et symbole de l’aspiration d’indépendance des italiens. Nous dégustons des Cicchetti sous les galeries du Palazzo della Ragione. Les padouans se pressent dans les marchés. Je vois mon amie y acheter des pomodori secchi et des fagioli. Elle parle avec la vendeuse. Nous traversons le centre historique et décidons de déjeuner au Prato Della Valle. Les statues qui bordent le canal nous observent. L’une d’elles nous pointe du doigt. La Abbazia di Santa Giustina est impressionnante avec son imposante façade lisse en brique rouge, la Basilica di Sant’Antonio da Padova l’est tout autant.
Nous empruntons l’un des nombreux canaux de Padoue afin de rejoindre Venise. D’abord le Canale Piovego. Puis le Naviglio del Branda. Les routes sont minces. Elles dessinent de fines bandes de terre entrecoupées de verdures. Nous faisons une pause à Dolo et dégustons une glace. La douleur de mon postérieur est encore vive. Un dernier effort sur la via Malcanton et nous arrivons au camping Funisa. Des campeurs de toutes nationalités s’y tassent. Les français concurrencent les danois venus en nombre. Nous y croisons deux coréens. Venise est à portée de vue. Je sens que j’ai besoin de repos. Le vieu pap’ se prépare à visiter la ‘Cité des Doges’.
Le vieu pap’ attablé à l’une des terrasses de la Piazza delle erbe. Il boit son cappuccino et hume les effluves du marché. Une odeur de fleurs nous caressent les narines. Nos sens sont en éveil.
Le Prato della Valle, l’un des lieux emblématiques de Padoue. On distingue le canal orné de ses rangées de statues. Au fond, la basilique Sainte -Justine et son imposante façade en pierre brute et ses coupoles.
La Basilique de Sant’Antonio, où l’on peut admirer quelques reliques du Saint, comme sa langue ou son menton. Je garde les vélos et j’invite le vieu pap’ à s’y rendre. Un spectacle pareil, ça ne s’oublie pas!
Repos (forcé) à Venise
10/05/2024. Nous restons quelques jours au camping Fusina. L’arrêt est forcé en raison de ma douleur aux fesses. En définitive, alors que le vieu pap’ n’était pas trop partant pour arpenter les rues sinueuses de la Sérénissime, c’est lui qui s’y trouve aujourd’hui pour la visiter. Quant à moi, je reste comme un con au camping. J’accepte péniblement l’idée que je suis blessé et que mon état réclame du repos. J’observe les campeurs qui stationnent au bar. Qu’ils soient français, allemands ou espagnols, je m’étonne du peu d’efforts dont ils témoignent au moment de passer leurs commandes. Rares sont celles et ceux qui tentent de baragouiner quelques mots en italien avec le personnel. Même si l’effort est vain, n’est-ce pas là une pratique stimulante in situ, ou bien une marque d’intérêt pour la culture du pays visité? La plupart des personnes croisées ne restent que quelques jours avant de replonger dans leur quotidien. L’apprentissage d’une langue est un long processus qui s’accommode mal aux temporalités du tourisme. La brièveté des séjours invite à rechercher une certaine forme d’efficacité dans les conduites. On rationalise son temps et son énergie. Après tout, quand on parvient à s’octroyer un séjour à l’étranger, à distance du travail, ne sommes nous pas tentés de relâcher nos efforts et viser le repos? D’ailleurs, à quoi bon apprendre trois mots d’italiens quand le séjour ne dure qu’un weekend, que la plupart de nos interlocuteurs (serveurs, restaurateurs, personnels de musées…) s’expriment en anglais et quand les indications (consignes, descriptions, règles…) sont traduites ? Le tourisme est une politique du moindre effort. Où plutôt, une économie de l’effort au service du travail performant. N’attendons-nous pas qu’elle “recharge nos batteries” à des fins d’efficacité au travail ? Déjà en 1964, Georges Friedmann présentait dans le Travail en miettes les loisirs “de masse” comme un moyen pour réguler un travail taylorien en perte de sens. Le sociologue nous rappelle que le champ du hors-travail se définit par le travail (industriel). Les mutations contemporaines du travail viennent questionner la thèse de l’auteur, certes. Toutefois, la mise au jour d’une dialectique entre le travail et le hors-travail -au lieu d’une opposition stérile – reste une ficelle stimulante pour penser les pratiques touristiques à l’oeuvre sous mes yeux. Dans quelles formes de loisirs (créatifs, actifs) mon projet s’inscrit t-il ? Qu’exprime-t-il de mon propre rapport au travail ? Quelles en sont les significations au regard de ma trajectoire professionnelle ? Mais avant tout, quelle en est la réalité quantitative ? Je ne cesse de croiser des individus à vélo en mode “cyclotourisme”. Qui sont-ils et où vont-ils? Est-ce une pratique croissante ou en déclin? Comment s’exprime a-t-elle selon les pays? Je m’inscris dans une histoire et une esthétique. Le cyclotourisme ne date pas d’hier, comme le rappelle la figure mythique de Paul de Vivie, alias “Velocio”. Ce pionnier considérait le vélo comme un instrument de perception du monde, un mode de construction de soi. Qu’en est-il aujourd’hui ? Qu’en disent les cyclotouristes? Les questions affleurent à mon esprit. Je sens que les verres de Spritz produisent leurs effets. La musique du bar m’insupporte. Je retourne dans la tente m’allonger. Je reprendrais la réflexion plus tard. Pour le moment, j’ai mal au cul.
Le pont du Rialto à Venise. Comme à l’accoutumée, il est difficile de s’y frayer un chemin tant ses allées piétonnières sont saturées de monde. Et pourtant. Que vois-je? Sapristi! Mais oui, c’est lui, dissimulé dans la foule, le vieu pap’ !!
De Venise à Caorle (étape 41)
13/05/2024. Les douleurs fessières se sont atténuées. Nous décidons donc de reprendre la route. À vrai dire, nous sommes aussi pressés de quitter le camping. Le bruit nous insupporte, la musique du bar aussi, de même que la gueule d’enterrement de la serveuse chaque matin. La journée (de reprise) s’annonce plutôt bonne. Le trajet s’équilibre entre les routes départementales et les pistes cyclables aménagées. À partir de Mestre, une ville de la cité de Venise, nous empruntons la strada statale 14 pendant 25 kilomètres. La route est fréquentée. Nous tenons fermement le guidon pour éviter tous écarts. Les poids lourds ne sont pas rares. Nous arrivons à Portegrandi et rejoignons la Girasile, une piste cyclable qui traverse le parc naturel régional du fleuve Sile. Nous filons sur les chemins de halage en terre battue et sur les routes de campagne entourées de vignes. Le Piave est notre boussole jusqu’à la petite ville de Torre Di Fine. Nous franchisons un pont, puis un second. Nous voici désormais à quelques kilomètres de Caorle. Nous arpentons la côte Adriatique et nous pénétrons enfin dans la cité balnéaire.
Le moment tant attendu de la journée : la pause méridienne. Nous arrivons à Caposile et marquons l’arrêt au Kris Bar. En vitrine, on aperçoit de beaux sandwichs qui font saliver. Nous en goûtons un chacun, puis complétons le repas par une salade de tomates et de mozzarella. Par la suite, nous prenons le temps de la digestion avant de remonter en selle. La pause méridienne, c’est le plaisir, la récupération, la détente, mais aussi la mise au point, le retour réflexif et la préparation. Chaque jour, nous apprécions un peu plus ce moment charnière dans la journée du cyclotouriste.
Nous décidons de passer la nuit au Campeggio Comunale Santa Margherita de Caorle. Notre petit emplacement est plutôt sympa. Il est surélevé et offre une vue dégagée sur la mer. La chose est minime, certes. Mais elle suffit à nous rendre enthousiaste.
La spiaggia di Ponente, l’une des deux grandes plages de Caorle. Il s’agit d’une longue bande sableuse quadrillée par des milliers de transats et de tonnelles méticuleusement rangés. Dans quelques semaines, un flot continu d’estivaliers s’y déversera frénétiquement. Pour l’heure, le silence règne sur cette plage fantoche. Caorle retient son souffle.
De Caorle à Grado (étape 42)
14/05/2024. Nous quittons Caorle de bon matin. Le port de pêche s’éloigne. Nous avalons les kilomètres sur les routes asphaltées des départementales. Notre vigilance est à son comble. Certains automobilistes semblent ignorer les distances minimales de sécurité. Les bords de route (italiens et français) sont des cimetières à ciel ouvert. Les pierres tombales et les bornes mémorielles y sont légion. La jeunesse des défunts est déconcertante. La route est un danger mortel pour chacun, animaux compris que nous voyons écrasés en masse par ailleurs. À Cervignano del Friuli, nous bifurquons (enfin) sur une piste cyclable aménagée jusqu’à Panigai. Quatorze kilomètres de tranquillité. Nous croisons plusieurs groupes de cyclotouristes, essentiellement des retraités. Ils vont en direction de Caorle, tout comme nous. Nous inter-agissons peu, si ce n’est par hochement de tête. La lagune de Caorle se dévoile enfin sous nos yeux. Nous arrivons.
Aux abords de Grado se situe Isola Volpera, une petite île sur laquelle se trouve le campeggio Isola del Paradiso. Nous décidons d’y passer la nuit. L’endroit est calme, silencieux, loin du tumulte. Parfait pour le repos.
De Grado à Trieste (étape 43)
15/05/2024. Voici deux mois jour pour jour que nous avons quitté Brest. Nous parachevons le premier tiers de notre voyage. Trieste, que l’on surnomme ‘la dernière ville du Nord-est’ de l’Italie approche.
Au terme d’une âpre ascension sous une pluie battante, nous apercevons enfin le Golfe de Trieste et sa ville éponyme. Le moment est appréciable. Nous reprenons notre souffle. La pluie a cessé. Le plus vaste de port de l’Adriatique est sous nos yeux, comme figé. Au loin, du haut des montagnes, la Slovénie. Nous remontons en selle. Une longue descente nous attend jusqu’à la ville
La place centrale de la ville, la piazza Unità d’Italia, où l’on peut apercevoir notamment la mairie (au centre) et le Palazzo Lloyd Triestino (à droite) où siége le Conseil régional. Les badauds s’y pressent pour se prendre en photo. Les couples s’y promènent langoureusement. Les enfants y courent sous le regard attentif de leurs parents. Les plus âgés enfin, y conversent, assis sur les bancs latéraux.
7 Comments
Delphine · 29 April 2024 at 16h44
Phoque bien reçu et il a fait son petit effet ! Merci.
C’est bien agréable de suivre votre périple.
LeBonStef · 3 May 2024 at 12h09
Lecture très agréable de vos aventures “cyclotouristiques” , description enlevée des étapes à l’humour bien venu , roulez donc “jeunesses” !
Franka · 8 May 2024 at 9h30
Eh bien qu’elle aventure dans ce pays magnifique !
Une pensée à votre étape de Genova avec une réadaptation du vieux bistrot par Fabrizio de André en hommage à cette ville :
https://youtu.be/cKBjwy25fkQ?si=mtstCTqR-qOXGGVh
Profitez de ma région !
Ily · 9 May 2024 at 18h40
Incroyable le récit de ce périple, on s’y croirait ! Roulez prudemment, profitez bien, et arrêtez de me flinguer ces freins dans les descentes, nom d’un chien.
Soiz · 12 May 2024 at 10h06
Haletant ce récit ! Bientôt le maillot à pois Edine 😉 Gêne, Vérone…que de villes qui me font rêver tiens ! Bon courage pour la remontée en selle !
Sylvie · 12 May 2024 at 22h34
Je mettrai 3 bougies sur mon prochain gâteau !😉
Grande Lupo · 31 May 2024 at 18h49
Jacquolino Cancellara et Edinetto Pantani !